lundi 22 octobre 2012

Les Ait Djennad face à la conquête française



 Toutefois l’agitation s’accrut son foyer principal
se fixa chez les Flisset-el-Bahr et les Beni-Djenad, fortes tribus situées sur le bord de la mer. La précédente expédition avait laissé leur territoire intact ; elles entamaient à peiné les premiers pourparlers de soumission, lorsque la nécessité d’en finir sur ce point devenant de plus en plus urgente, on avait fait le sacrifice de cette affaire accessoire, en les incorporant, sans autre négociation, dans l’aghalik de Taourga. Par suite, notre autorité sur eux n’était encore que
nominale.
     Au mois d’octobre 1844, le général Comman, dirigeant la colonne de Dellys, crut devoir pousser une reconnaissance dans cette région inconnue. Il partit avec 1500 hommes sans sacs, ne se croyant exposé à rencontrer que les forces locales ; mais l’excitation régnante avait réuni cinq à six mille montagnards. Bientôt le général Comman les aperçut, garnissant des hauteurs très-fortes et prêts à les défendre
avec opiniâtreté ; car ils avaient compté notre petite troupe. Les dispositions de l’attaque furent immédiatement prises et même bien combinées ; mais un manque d’accord dans l’exécution fi t payer le succès trop cher.
     La position de l’ennemi pouvait être tournée par la droite. Deux bataillons du 58e et 150 chasseurs d’Afrique sont lancés dans cette direction ; malheureusement, arrêtés, égarés par des obstacles de terrain, ils mettent un temps énorme à opérer leur mouvement concentrique. Dès lors, deux bataillons du 53e, aux ordres du colonel Saint-Arnaud, qui ont exécuté l’attaque, de front et pris possession des crêtes après avoir essuyé à dix pas le feu des montagnards, se trouvent soutenir, au nombre de six cents, tout le poids du combat contre des masses considérables. Quoique enhardis par l’isolement de cette faible colonne, les Kabyles ne parviennent pas à lui reprendre leur terrain ; mais ils lui mettent, hors de combat, vingt-six hommes atteints mortellement et cent-cinquante blessés, dont dix-sept officiers les pertes s’élèvent très-haut de leur côté ; cependant ils ne lâchent prise qu’à l’approche tardive de la colonne enveloppante. Le théâtre du combat, chèrement acheté, reste en notre pouvoir ; toutefois, le corps expéditionnaire, déjà
trop minime au début, et plus que décimé dans cette rencontre, ne peut continuer son offensive : il est contraint de se replier sur Dellys.
   Grâce au voisinage d’Alger, cette affaire est immédiatement connue du Gouverneur, et l’importance
qu’il attache aux moindres apparences de revers en
Kabylie, le décide à s’y rendre lui-même, accompagné
de quelques renforts. Le 27 octobre, il se trouve en face des positions où le combat qui vient d’être décrit s’était livré dix jours auparavant.
      Le bruit avait couru que l’ennemi nous y attendait
de nouveau ; mais on le trouva seulement une
lieue plus loin, dans un site encore plus difficile, retranché derrière des parapets en pierre sèche, le long
des crêtes rocheuses et boisées qui dominent le village
d’Abizar. Ses forces ne montaient pas au-delà
de trois mille hommes, la présence de notre cavalerie
l’ayant privé de plusieurs contingents, qui ne pouvaient
opérer leur jonction qu’en traversant des localités
où une charge était exécutable.
    Toutefois, le Maréchal jugeait les obstacles matériels
si grands, qu’il déclara sortir, en s’y heurtant, des
vrais principes de la guerre pour obéir à une nécessité
politique, celle de convaincre les Kabyles qu’aucune
de leurs retraites ne nous était inaccessible. Le convoi
fut massé dans un entonnoir couvert par des rochers
que nos tirailleurs occupèrent avec l’appui de deux
bataillons : l’infanterie déposa ses sacs.
    Cette fois la disproportion numérique étant moins forte, l’attaque se proposa de déborder tout à
la fois les ailes et d’écraser directement un point de la ligne. Le colonel Gachot, avec deux-bataillons et deux obusiers de montagne, est dirigé de manière à tourner la gauche des Kabyles. Le colonel Blangini, avec son régiment, deux obusiers et la cavalerie, aux ordres du colonel Jusuf, opère un mouvement semblable contre la droite ennemie, pendant que le Maréchal lui-même se propose de l’aborder de front.
    Quatre pièces de montagne commencent en effet à l’ébranler, et aussitôt trois bataillons, lancés au pas de course, gravissent les pentes, s’accrochent aux buissons, escaladent les rochers et deviennent maîtres de la position par le seul fait de leur audace qui a stupéfié les défenseurs.
     Cette droite rompue est en partie refoulée sur le centre, en partie sur la colonne enveloppante dont la cavalerie fait d’incroyables efforts pour traverser d’affreux terrains, et parvient à sabrer une cinquantaine de fuyards. L’ennemi n’a pas tenu sur la Gauche ; il fuit de tous côtés avec une perte de cent-cinquante à deux cents hommes. La nôtre est fort légère, eu égard à la nature des lieux. « Ce champ de bataille, disait le rapport au Ministre, représente admirablement le chaos. Quoique le combat n’ait pas duré deux heures, il a fallu toute la journée pour rallier les troupes. »
     Les chefs des Beni-Djenad et des Flisset-el-Bahr ne se firent point attendre. L’aman leur fut donné, mais à condition qu’ils verseraient l’impôt de suite ; en sorte que leur soumission se trouva reportée, pour ainsi dire, à l’époque de son enregistrement fictif.


- Flisset-el-Bahr: Iflissene
- Beni-Djenad: Ait Djennad
-Taourga: village entre Boumerdes et Tizi-ouzou
-Abizar: le plus grand village des Ait Djennad





/source: "La grande Kabylie; Etude historique"  publié en 1847
de M.Daumas:Colonel de spahis, directeur central des affaires arabes à Alger
et M. FABAR: Capitaine d’artillerie, ancien élève de l’École Polytechnique

                                                                                                                 
                                                                                         Par MEHALA Sofiane

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