dimanche 9 décembre 2012

Mohya, de son vrai nom MOHIA Abdellah


Eléments de biographie :
Mohya, de son vrai nom MOHIA Abdellah, est écrivain, poète et traducteur de langue berbère (kabyle). Mohia Abdellah (ou Muhya, Muhend u Yehya) est né le 1er novembre 1950 à Iεezz’ugen (Azazga). Sa famille est originaire d’At-Rbah (commune d’Ibudraren) dans la célèbre tribu des At-Wasif mais son père, tailleur de profession, s’est installé depuis quelques années à Azazga. Mohya a passé une partie de son enfance dans cette région avant que sa famille ne déménage à Tizi-Ouzou. Interne au Lycée Amirouche à Tizi-Ouzou, le jeune Mohya était un brillant élève, il décroche son bac en 1968. Il rejoint l’Université d’Alger où il poursuit des études supérieures en mathématiques. Il obtient sa licence en 1972. Il participe à un concours qu’il obtient, il est alors autorisé à s’inscrire à l’Ecole d’Ingénieurs en Hydraulique en France. En 1973, il part donc en France, plus précisément à Strasbourg, mais au cours de la même année il rejoint Paris. Il intègre le Groupe d’Etudes Berbères créé à l’Université Paris VIII (Vincennes). Il sera un des animateurs des revues publiées par ce groupe : Bulletin d’Etudes Berbères (BEB) puis Tisuraf. En parallèle, il travaillait comme veilleur de nuit dans un hôtel du 7ème arrondissement. Il a animé une troupe Asalu à partir de 1983. C’est autour de cette dernière qu’un atelier de traduction-adaptation s’est constitué. Pendant de nombreuses années, il tenait un commerce ‘alimentation générale’ à Paris. Il a par ailleurs enseigné le berbère à l’ACB.
Il a publié des poèmes, des nouvelles ainsi que de nombreuses traductions vers le kabyle de pièces de théâtres (plus d’une vingtaine), nouvelles, poésies...
Dans cet article, il sera question d’une présentation succincte de l’ensemble de l’œuvre accomplie.

L’œuvre de Mohya


L’œuvre de Mohya est très diverse et s’inscrit dans trois domaines différents :

1. L’œuvre littéraire proprement dite constituée de poèmes, de nouvelles et autres textes littéraires divers, créations propres de l’auteur.
2. L’œuvre littéraire populaire recueillie et/ou complétée par l’auteur.
3. Les œuvres traduites et adaptées vers le kabyle à partir du français et faisant partie de patrimoines littéraires (et/ou artistiques) étrangers.


1 - L’œuvre littéraire de Mohya :

Elle est constituée essentiellement de deux genres littéraires : la poésie et la nouvelle (/ou conte).

1.1. La poésie :

Dès son entrée à l’Université d’Alger en 1970, le jeune Mohya, fréquente le cours de berbère dispensé par Mouloud Mammeri à l’Institut d’Ethnologie. Au cours d’une excursion à Tala-Guilef, il lit le poème qu’il venait de composer Ayen bγiγ (= Ce que je veux/ Mon amour) en présence de M. Mammeri. Ce dernier n’a pas manqué de le féliciter et de l’encourager à continuer sur cette voie. Ayen bγiγ est chanté par le groupe Imazighen Imoula constitué autour de Ferhat sous une version intitulée Ayen riγ. Mohya est désormais sorti de l’anonymat.
Au cours des années 1970, Mohya continuera à composer des poèmes. Certains parmi ces derniers auront une diffusion massive. Ainsi, Tahya Barzidan (=Vive le président !) et Ammarezg-nneγ  ! (Oh, notre bonheur !...), publiés dans Tisuraf ont connu un grand succès après leur reprise en versions chantées par Ferhat.

Mohya composera de nombreux poèmes. Les plus connus restent ceux qui sont repris par les chanteurs kabyles. Dans une société où l’oralité reste l’un des rares vecteurs de transmission de savoirs, il faut reconnaître que les vers de Mohya ont connu une large diffusion surtout avec une chanson mise au service la revendication berbériste contre le déni identitaire.

D’autres poèmes de Mohya sont chantés par Takfarinas, a win iheddren fell-i ; par Malika Domrane, Ad’ellaâ iqqersen  ; par Idir, ay arrac nneγ ; Slimane Chabi Ad γreγ di lakul...
Comme préface au recueil de Amar Mezdad, Tafunast igujilen publié comme supplément à Tisuraf, Mohya y met un poème Tarebget.

Mais un bon nombre de ses poèmes reste encore inédit.


1.2. La nouvelle et le conte :

Les nouvelles écrites par Mohya sont nombreuses. Mais ne sont connues du public que celle éditées dans les cassettes audios 1 à 5. A titre d’exemple, nous pouvons citer : Tamacahut n Iqannan (histoire des nains), Tamacahut n ileγman (histoire des chameaux), Tamacahut n yeγyal (histoire des ânes), Asmi nxeddem le théâtre (Quand on faisait du théâtre), Wwet ! (Frappe donc !)... Une dizaine d’autres nouvelles restent inédites.


1.3. Préfaces et essais :

Outre une préface en kabyle au recueil de chanson de Slimane Azem, Izlan, Mohya a publié une présentation de la chanson de ce poète. Il a également fait une autre préface au recueil de Lwennas Iflis (Tisuraf n° 2 / Poèmes d’espoir). L’auteur, de son vrai nom Saïd Boudaoud, est originaire de la région de Tizi-Ghennif. Tout en faisant un DEA en mathématiques, il a participé à la troupe de théâtre Imesdurar.

Par ailleurs, il a également écrit la préface du 1er 33 tours de Idir A baba-inu, ba sous un pseudonyme et préfacé également un disque de Ferhat en commençant ainsi sa préface : l’esclave va chanter...
Nous lui connaissons également un essai d’analyse linguistique et littéraire sur le syntagme Yenna-yas dans le théâtre kabyle (février 1989).
Mohya et Ramdane Achab ont animé une feuille entièrement rédigé en kabyle et intitulée Afud ixeddamen. Un numéro ‘grand format’ de cette feuille est publiée avec la participation de membres du GEB, d’O. Oulamara...
2. L’œuvre littéraire populaire recueillie et/ou complétée.


Il s’agit essentiellement d’éléments de la tradition orale recueillis et/ou complétés par Mohya.

2.1. Le recueil Akken qqaren medden.

En venant en France, Mohya n’a pas omis d’emporter dans ses bagages un petit opuscule de proverbes publié par le FDB en 1955 et intitulé Akken qqaren medden. L’auteur, J.-M. Dallet, présente tout ce qu’il a pu recueillir comme proverbes dans la région des At-Menguellat. Mohya qui s’est mis depuis longtemps à recueillir toutes sortes de proverbes, maximes, adages... de toutes les localités de la Kabylie a compulsé un matériau important tant du point de vue quantitatif que qualitatif. Il publie certains de ces proverbes dans BEB n°4, 1974, pp.30-37. Mais la totalité des données recueillies est publiée sous le titre ‘Akken qqaren medden’ (Inhisen), Supplément à Tisuraf, novembre 1978, 217 p.


2. 2. Les contes et fables :

Il s’agit de contes et fables populaires recueillis par Mohya en Kabylie ou auprès de travailleurs émigrés. Certains sont publiés sous le titre Tiqdimin dans BEB n° 11, 1977, pp. 85-88 (10 contes) ; Tisuraf n° 1, 1978, pp. 93-98, (13 pièces) et Tisuraf n° 3, 1979, pp. 57-62, (13 pièces).


3. L’œuvre traduite/adaptée par Mohya.


L’œuvre traduite est constituée essentiellement de pièces de théâtre, de la poésie et la nouvelle (/ou conte). Si le premier genre constitue l’œuvre de prédilection de Mohya, les deux autres aussi méritent une attention particulière ne serait-ce que du point de vue de la diffusion qu’ils connaîtront.

3.1. Le théâtre :

Au milieu des années 1960, des lycéens scolarisés au lycée Amirouche à Tizi-Ouzou tentent de jouer des pièces de théâtre en kabyle au sein de leur troupe qu’ils viennent de créer. L’administration de l’établissement, sous la pression du parti unique Fln, s’oppose. Au même moment, des pièces de théâtre radiophoniques sont diffusées sur les ondes de la chaîne II. Mais une troupe de théâtre donnant des représentations en kabyle était alors perçue comme ‘groupuscule aux activités contre-révolutionnaire, réactionnaire, au service de l’impérialisme...’. D’autant plus que les seules pièces de théâtre disponibles [1] sont celles publiées par le Fichier de Documentation Berbère à savoir :

-  Bu-Saber (la patience), pièce en trois actes, pour enfants, publiée à Fort-National, 1965, 47p. Pièce élaborée par A. Aït Yehya, B. Aït Maâmmer et J.-M. Dallet.

-  Aâli d Remdan, ah’wanti n Beghdad (Ali et Ramdane ou le marchand de Baghdad), 1955, 56 p. Une adaptation d’un conte des milles et une nuit faite par A. Aït Yehya. Jeu scénique en cinq tableaux.

-  Trois compositions didactiques élaborées par Aït Yehya, J.-M. Dallet, Sœur Louis de Vincennes...

A l’Université d’Alger, la plupart de ceux qui ont fréquenté le lycée Amirouche s’y retrouvent et créent ce qu’on peut appeler le Cercle des étudiants de Ben-Aknoun. Une troupe de théâtre voit le jour au sein de ce cercle et la pièce de théâtre Mohamed, prends ta valise est mise en scène. Les autorités de l’époque opposent une fin de non-recevoir aux demandes de participation aux différents festivals officiels. Pour déjouer ce refus, les membres de cette troupe élaborent une autre mise en scène mais en arabe dialectal. Ils ont eu alors l’autorisation de participer au Festival de Carthage en 1973. Une fois sur scène, ils donnent une représentation de Ddem abaliz-ik a Muh !, la version kabyle de Mohamed, prends ta valise ! C’était une réussite, la troupe décroche le premier prix de ce festival. Mais comme à l’époque, les autorités favorisaient tout ce qui est soutien à la cause palestinienne, elles ont donc convenu d’attribuer ‘symboliquement’ le premier prix à la troupe palestinienne, et la troupe officielle représentant donc l’Algérie a eu droit au 2ème prix ! A Alger, le ministre de la Culture félicite les membres de la troupe pour le prix acquis et leur signifie qu’il n’est plus possible pour eux de donner une quelconque représentation vu qu’ils ont trahi sa confiance. « Xdaâtu-ni !... » avait-il dit.
Le texte de la pièce Ddem abaliz-ik a Muh ! est publié dans le BEB, 1974.
Mohya, bien que ne faisant pas partie de la dite troupe de théâtre, suivait de près ces évènements. C’est à cette période qu’il commence à adapter le théâtre étranger en kabyle. Morts sans sépulture de J.P. Sartre est la première pièce qu’il traduit. Des extraits de cette adaptation seront publiés dans BEB II/2, 1973, pp. 17-27. Dans BEB II/3, 1974, un article traitant de cette pièce est publié sous le titre ‘une expérience à poursuivre’. En collaboration avec Mumuh Loukad, il adapte une seconde pièce de J.P. Sartre, La pute respectueuse.
En 1974, il publie Llem-ik, ddu d ud’ar-ik, l’adaptation de L’exception et la règle de Bertolt Brecht. L’opuscule de 42 pages + VI porte la mention Tiz’rigin Tala (=éditions Tala). Dans la préface en kabyle (Tazwart p. IV), Mohya revient sur la nécessité de publier en tamazight. Dans la présentation en couverture 4, il insiste sur le fait qu’il est plus que jamais pressant de prendre part à la galaxie Gutenberg telle que définie par le philosophe Marshall Mac Luhan.


A la même période, Mohia monte une troupe de théâtre, autour du GEB. Troupe de théâtre appelée Imesdurar, qui a participé au 1er Festival du théâtre de l’immigration, en jouant la pièce llem-ik, ddu d ud’ar-ik. Les membres de la troupe sont : Mohia, Mustapha Bounab, Mustapha Aouchiche, R. Achab, Boussad Benbelkacem, Saïd Boudaoud... Des représentations de la dite pièce sont données particulièrement à Suresnes, au Théâtre des Bouffes du Nord (Paris) mais également à la Salle Saint-Bruno du 18ème arrondissement. La représentation donnée à Suresnes a fait l’objet d’un article de Amezyan B. [Il s’agit de S. Boudaoud] intitulé ‘Une expérience de théâtre populaire’ publié dans le B.E.B n°8, (1976), pp. 31-34.
La même année, Mohya termine Aneggaru a d-yerr tawwurt (la décision) de Bertolt Brecht. Le texte sera publié en deux parties dans BEB n° 11, (1977), pp. 63-83.

Mais lors du grand gala organisé par la coopérative Imedyazen avec tous les grands noms de la chanson kabyle (S. Azem, Idir, Ferhat, Hanifa...) gala animé par Ben-Mohamed, la pièce de théâtre llem-ik ddu d ud’ar-ik était prévue au programme, en première. Les comédiens ont commencé à jouer, mais le public était impatient de voir et d’écouter les chanteurs, les vedettes ! Il s’est mis à siffler et à montrer son hostilité. On a dû arrêter de jouer. Cet échec a beaucoup affecté Mohia, au moins sur le coup...)
A la fin des ces années 1970, l’idée de faire du théâtre en berbère prenait forme à l’Université de Tizi-Ouzou nouvellement créée par Boumediène juste après le 19 juin 1977 pour dékabyliser Alger. Des étudiants créent une troupe de théâtre et mettent en scène Tighri n tlawin (la voix des femmes) et la guerre de 2000 ans de Kateb Yacine. Mais les représentations que cette troupe veut faire sont interdites par les autorités en juin 1979 puis en janvier 1980.

A partir du printemps berbère, Mohya travaille d’arrache-pied pour adapter le maximum de pièces en kabyle. Le public n’en finit pas de demander. Ainsi, Pour illustrer la problématique berbère (confrontation du berbère avec le régime en place), Mohya adapte en kabyle une nouvelle, Le ressuscité du célèbre écrivain chinois Lu Xun (ou Lu Sin) en pièce de théâtre Muhend u Caεban. Cette dernière a connu un grand succès, depuis 1980, au point où les Editions berbères, alors dirigées par Mustapha Aouchiche, financent son tournage comme film et l’éditent en 1992. Des extraits sont par ailleurs publiés dans la revue ‘Tiddukla n°6/7 et 8.

En 1982, Mohya s’intéresse à Pirandello. La pièce intitulée la Giara qui a donné la Jarre en français est devenue Tacbaylit sous sa plume.

En 1984, ce sont deux pièces , Tartuffe de Molière et Ubu Roi d’Alfred Jarry, qui sont adaptées en kabyle respectivement sous les titres de Si Partuf et Čaεbibi.

Puis ce sont deux autres pièces : Médecin malgré lui de Molière et En attendant Godot de Samuel Beckett qui sont adaptées respectivement sous les titres de Si Leh’lu et de Am win yettrajun R’ebbi. L’adaptation Si Lehlu est publiée en deux parties dans Awal, la revue que vient de fonder l’écrivain Mouloud Mammeri. La première partie est parue dans le n°2, 1986, pp. 145-156 ; tandis que la seconde est parue dans le n° 3, 1987, pp.147-190.

A partir de 1986, tout en s’intéressant à d’autres auteurs étrangers tels que Pirandello ou Lu Xun, Mohya s’investit à fond dans l’adaptation du théâtre français.

Ainsi, quatre autres adaptations voient le jour :


-  Sinistri (la farce de Maître Pathelin). Cette pièce de théâtre est composée par un auteur inconnu en 1464. Elle est très connue car elle est l’un des rares témoignages du théâtre français du Moyen Age. Cette pièce est diffusée sous forme de deux cassettes audio.

-  Les fourberies de Scapin et Le malade imaginaire de Molière. Ces deux dernières sont restées à l’état de manuscrit.

-  Knock de Jules Romain (manuscrit).

Toutefois, Mohya n’est pas restée prisonnier du théâtre français. Bien au contraire, il s’intéresse à d’autres auteurs ayant contribué au théâtre universel. Il adapte alors : Les émigrés de Mrozeck en Sin nni, Le suicidé de Nikola Erdmann en Axir akka, wala deg uz’ekka et la nouvelle de Lu Xun La véritable histoire de Ah Qu en Muh Terri.
Sin nni est réalisée par une troupe professionnelle au théâtre Régional de Béjaïa avec Fellag en 1991. Muh Terri est diffusée en cassette audio.

A la fin des années 1990, Mohya est attiré par les auteurs de la Grèce Antique. Il s’est intéressé tout particulièrement aux dialogues philosophiques de Platon. Ainsi, il commence l’adaptation de Gorgias (inachevée) de Platon, Mémorables de Xénophon ainsi qu’une œuvre de Sophocle : Œdipe roi. Ces œuvres, Mohya les a adaptées en pièces de théâtre.

3. 2. Poésie :

C’est dans les années 1970 que Mohya s’est investi dans la traduction de la poésie vers le kabyle. Un recueil de la plupart des ces traductions est publié sous le titre Mazal lxir ar zdat, comme supplément à Tisuraf, décembre 1978, 66 p. Dans la liste des auteurs traduits, il y est fait mention de J. Prevert, G. Brassens, B. Brecht, G. Servat, J. Ferrat, W. Blake, B. Vian, J. Brel, E. Pottier, J.-B. Clément, F. Leclerc, P. J. Béranger, J. Beaucarne ; mais aussi des extraits de Phèdre ou des pièces d’auteurs anonymes.
Certaines pièces traduites ont connu une grande diffusion à l’instar de Amezzart’i (le déserteur) de Boris Vian chantée par Ferhat.
Mohya a traduit quelques fables de La Fontaine dont Werjeji (la cigale et la fourmi), chantée par la troupe Debza et Tagerfa d ubaragh (le corbeau et le renard) insérée dans la pièce’ Sinistri.
Il a, par ailleurs, adapté la chanson Pauvre Martin de Georges Brassens en Muh’ n Muh’, chantée par Djurdjura.
Au milieu des années 1980, Mohya compose Ah ya ddin Qessam en référence à Berwageyya, la tristement célèbre prison où croupissent les militants berbéristes et des droits de l’Homme en 1980 et en 1985. Le poème, diffusé à l’Université de Tizi-Ouzou, se répand partout en Kabylie après sa reprise sous forme de chanson par Ali Ideflawen.
Ah ya ddin qessam ! est en fat une adaptation d’un poème de Seghers chanté par Léo Ferré : "Merde à Vauban".
3. 3. Autres œuvres traduites/adaptées :

Mohya a adapté des nouvelles de Singer et de Maupassant. L’inventaire de ces adaptations est inachevé. Il a aussi adapté un texte de Voltaire, Gménon ou la sagesse humaine en Muh’end u Caεban mi yečča taxsayt... Cette dernière est enregistrée en cassette.
Il s’est aussi inspiré de Les jeux de mots de Raymond Queneau pour écrire le texte 1er Novembre iεeddan, (Cassette 4).
De même, nous n’arrivons pas à situer les versions originales des adaptations suivantes : Tamacahut n Ganuc asmi yeznuz isγaren (probablement inspirée des Guignols), Tamacahut n warraw n weh’mam aεrab et du monologue Targit (le rêve).
Il a, entre autres, adapté en kabyle le scénario du film ‘The night of the hunter’ (La nuit du chasseur) de Charles Laugton dont l’acteur principal est Robert Mitchum et un volume d’une bande dessinée de la série Astérix ‘le cadeau de César’.

En dernier lieu, on peut citer l’adaptation d’une série de quatre livrets de contes pour enfants sous le titre de ‘Deh’muc ameεmuc’ à partir de la version de L. Hodgson. Ces livrets sont publiés par l’AJBF en 1994 sous le pseudonyme Muhend U Rumineγ !



Pour ne pas conclure :

L’œuvre de Mohya est presque entièrement connue : quand une pièce de théâtre n’est pas publiée par écrit, elle l’est sous forme de cassettes audio (en circulation chez ses amis).
Avec sa contribution au renouvellement des genres et des thèmes en littérature berbère, Mohya occupe une place prépondérante dans l’espace littéraire kabyle en particulier et berbère en général. Salem Chaker signale ce fait dans son étude sur la néo-littérature berbère et dit en substance ‘Dans cette dynamique de traduction littéraire, Muhend-u-Yehya occupe une place à part : par son ampleur, sa diversité et sa qualité, sa durée aussi, son œuvre peut être considérée comme une des grandes références fondatrices de la nouvelle littérature kabyle.’

La notoriété atteinte par Mohya ne se fait pas démentir : ses pièces sont représentées sur scène tant en France depuis 1975, qu’en Kabylie et à Alger depuis 1986.

La critique universitaire et journalistique en est très positive.
Mieux encore, Mohya a servi d’exemple à toute une génération. Le théâtre comme le roman ou d’autres genres inexistants dans le patrimoine littéraire traditionnel berbère peuvent se décliner en berbère, bien qu’ils aient pour source de diffusion l’Occident. Il suffisait juste de vouloir en doter la littérature berbère.
En recourant au kabyle tel qu’il est usité dans les communications réelles, Mohya démontre que la vivacité de la langue ne réside pas dans l’emprunt par snobisme ou dans un recours systématique à une néologie à tout-va.
Dans son entretien accordé à la revue Tafsut, série normale n°10, avril 1985, pp. 43-64 affirme : « ...Toujours est-il que je publierais volontiers par écrit si le manque de temps ne m’en empêchait », (p.57).
Quel serait le plaisir de Mohya de voir l’ensemble de son œuvre (éditée ou en manuscrit) publiée et diffusée auprès de ceux pour qui il a consacré toute une vie. Il est sûr que ce jour-là, Mohya criera de sous les pierres tombales (il l’a promis !) et dirait sûrement : ‘Ah ya ddin qessam’ ! ...


par Saïd CHEMAKH*

Lors de la 2ème veillée funèbre organisée à Tanina (Paris XI), le dimanche 12 décembre 2004, Saïd Chemakh a présenté une synthèse de l’œuvre de Mohya. Il a accepté de livrer sa recherche aux lecteurs de tamazgha.fr Cet article n’est qu’une version provisoire de l’étude que Saïd Chemakh prépare sur Mohya.

mardi 4 décembre 2012

Arraw n MASNSEN, poème de Oubellil

Arraw n MASNSEN

A tafat cedhant walen
Wissen dγa ma ad-kem-nẓar
Ay assirem deg ulawen
A win umi zin lesswar
Ay aveḥri id yesuḍen
Kked idurar d izuγar
Ini-as-en yiwen yiwen
I warraw n leğerğar
Ayen id ğan wid iruḥen
Ad tneḥrez as-neg leqrar
Ay amedyaz sakiten
S kra yellan d mmi-s nelḥar

Muqleγ, sakkdeγ timura
Yewwin avrid deg narni
Ma ruγ ihi yella kra
A yetma agdud neγ ur yelli
Marẓen iεegalen tura
Yal yiwen s anda yeγlli
Ayeni id teğğa lggirra
Ikkeml-it ujajiḥ n wass-agi
Muqar lehlak-is tulwa
Taqvaylit tenṭar t-ttwarwi
Meḍlentt ur temut ara
Yarna neḥdar maḍi

Iẓri y-munddel ur yettwali
Neγ iwala iεemed i tyita
Imi aka nemcengal d tirni
I tegmat i xrev uẓeṭa
D annect-a i ruğan imcumen-nni
Ḍemεen ad dmen lγella
Aεeqa n tidet ur yemγi
Deg akal hatan yerkka
Ihi ddem aγenja seqi
Yak yarmed sekksu lfetna
Tikkelt-a tugar-itent arkelli
Lzzayer ad tarew kra

Fukkent tira ay imru
Tiktiwin ayalaγ ikerssen
Fkkan afus wat ddeεwesu
D gir amdun id ugmen
Flan d flan la ifetu
D netta kkan ara d tijevren
Fran suq nekkni ur n teddu
Nuggi talava iγ-sarssen
Γef tuyat γas ẓay uzaglu
Γurwat iḍaren ad feclen
Anareẓ wala aneknu
Ay arraw n Masnsen...

UBELLIL


lundi 3 décembre 2012

Said Mekbel

Said Mekbel était un journaliste algérien (né le 25 mars 1940 à Béjaia en Kabylie, assassiné le 3 décembre 1994 à Alger).

Saïd Mekebel (dit Mekbel)- Chroniqueu
r satirique connu sous le pseudonyme Mesmar Dj'ha

Né le 25 mars 1940, à Béjaia d'une famille modeste, d'un père marin. Il est l'aîné de quatre enfants.

À 10 ans, il entre à l'école militaire de Miliana, puis à l'école des cadets de Koléa. Il poursuit ses études à Aix-en-Provence à l'école militaire, il y passe son bac. Sa réussite au concours d'entrée à Saint-Cyr coïncide avec l'Indépendance de l'Algérie mais rentre définitivement au pays le 26 janvier 1963.

En mai 1963, il occupe le poste d'Attaché d'administration à la Direction de l'Énergie et des Carburants, participe, aux côtés de Belaïd Abdesselam et de Sid Ahmed Ghozali (futurs Chefs de gouvernement) aux négociations franco-algériennes sur le pétrole.

Mais attiré par le journalisme, il fera ses premières armes à Alger républicain où il se fait critique de cinéma, puis démissionne de son poste de la Direction de l'Énergie et des Carburants et devient journaliste à plein temps à partir de mai 1964.

Sur les conseils d’Henri Alleg alors directeur de publication, il participe à la chronique satirique de L’Ogre ouverte à tous les journalistes du quotidien, qu’il reprendra ensuite sous le nom d’El Ghoul, au même moment il crée sa propre chronique... Mesmar Djeha (signée Saïd Mekbel). Il reste à Alger républicain jusqu’au 19 juin 1965 date de la prise de pouvoir d'Houari Boumediene coïncidant avec l’interdiction du journal à paraître.

En octobre 1965, il sera recruté par l'EGA (Sonelgaz)

En 1969, concours d'entrée à l'ENITA (École Nationale d'Ingénieurs et de Techniciens Algériens, école militaire).

En 1974, il obtient le diplôme d'ingénieur électromécanicien, spécialisé en mécanique des fluides. 1974 -1975, professeur d’écoulement des fluides compressibles au centre de Ben Aknoun et Conférencier technique à l’école technique de Blida.

1975 - 1976 il fait une année à l’école des applications du gaz à Paris.

Il poursuivra ses études à la Faculté des Sciences d'Alger et obtient son doctorat d'ingénieur en mécanique des fluides qu'il soutient en 1978. Puis sera nommé Ingénieur Chef de Région Années 80 il sera professeur associé à l’école polytechnique d’El Harrach et membre du jury d’examen de l’IAP de Boumèrdes, période durant laquelle, en amateur, il s'adonnera à la photo et montera son laboratoire chez lui.

En 1989, à l’appel d’anciens d’Alger Républicain, il reprend la plume pour faire renaître la chronique d’El Ghoul, qu'il accompagnera souvent de ses propres caricatures, sans pour autant quitter la Sonelgaz, au sein de laquelle il sera nommé Ingénieur Assistant à la direction du transport gaz et sera contacté par Djillali Liabés pour intégrer l'Institut des études de Stratégie Globale de Ain Ouessara.

Il participe au journal satirique El Manchar. En 1991, il quitte Alger républicain. avec une équipe de journalistes qui créent en septembre de la même année, Le Matin où il réapparaît avec Mesmar j’ha, qu’il décide de planter en haut à droite de la 24.

En avril 92, Il crée son propre bimensuel satirique Baroud qu’il arrête après une dizaine de numéros suite à des problèmes administratifs.

1993, il collabore à l'hebdomadaire Ruptures. En septembre il sera nommé directeur de la publication du quotidien le Matin puis en décembre à Sonelgaz, il sera promu ingénieur expert à la direction du transport gaz.

Janvier 1994, deux fois menacée, sa femme quitte l'Algérie pour se réfugier en France, Saïd échappe à un premier attentat le 8 mars 94 à la sortie de son domicile.

Mais le 3 décembre 1994, il est de nouveau victime d'un attentat dans un restaurant proche du journal à Hussein Dey. Touché de deux balles dans la tête, Said succombera à ses blessures le lendemain à l'hôpital de Ain Naâdja d’Alger.

Il sera enterré, au cimetière de Sidi Mohand Amokrane à Béjaia.

Son dernier billet ‘ Ce voleur qui ‘ publié le jour de son assassinat fera le tour de la presse mondiale.

"" Ce Voleur Qui ???

Ce voleur qui, clans la nuit, rase les murs pour rentrer chez lui, c’est lui. Ce père qui recommande à ses enfants de ne-pas dire dehors le méchant métier qu’il fait, c’est lui. Ce mauvais citoyen qui traîne au palais de justice, attendant de passer devant les juges, c’est lui. Cet individu, pris dans une rafle de quartier et qu’un coup de crosse propulse au fond du camion, c’est lui. C’est lui qui, le matin, quitte sa maison sans être sûr d’arriver à son travail et lui qui quitte, le soir, son travail sans être sûr d’arriver à sa maison. Ce vagabond qui ne sait plus chez qui passer la nuit, c’est lui.

C’est lui qu’on menace dans les secrets d’un cabinet officiel, le témoin qui doit ravaler ce qu’il sait, ce citoyen nu et désemparé...
Cet homme qui fait le voeu de ne pas mourir égorgé, c’est lui. C’est lui qui ne sait rien faire de ses mains, rien d’autres que ses petits écrits.
Lui qui espère contre tout parce que, n’est-ce pas, les rosés poussent bien sur les tas de fumier. Lui qui est tout cela et qui est seulement journaliste.""

dimanche 25 novembre 2012

Les Origines du calendrier berbère




     L’histoire des Berbères remonte à 10 000 ans avant Jésus Christ. Ce n’est pourtant qu’au temps de l’Egypte ancienne que sera fixé l’an zéro du calendrier berbère. Il correspond à la date où le roi Chacnaq 1er (Sheshonq) fût intrônisé pharaon d’Egypte.
      Ce roi berbère avait réussit à unifier l’Egypte pour ensuite envahir la Palestine. On dit de lui qu’il s’empara des trésors du temple de Salomon à Jérusalem. Cette date est mentionnée dans la Bible et constitue par là-même, la première date de l’histoire berbère sur un support écrit.

L’histoire de Chacnaq 1er

   Les travaux des paléontologues et historiens démontrent sans équivoque que les Berbères étaient présents en Egypte depuis sa constitution. Nous retrouverons ensuite des inscriptions lybiques sur la pierre de rosette. Des tifinaghs récents qui remontent au moins au Ve siècle avant notre ère, date du mausolée d’Abelessa. Les Imazighen Mashaouash, Libous orientaux de Cyrénaïque étaient en contact direct avec les l’Egypte ancienne. En 1200 avant J.C. la civilisation libyque avait même boulerversé l’équilibre de la Méditerranée orientale en envahissant l’Egypte. C’est à cette époque que le Berbères inventèrent une roue inconnue jusqu’alors et apprennaient aux Grecs à atteler quatre chevaux.
A la fin de la XXIème dynastie égyptienne, Sheshonk (Chachnaq 1er), grand chef militaire des Mashaouash, obtint du Pharaon Siamon, dont l’armée était en grande partie composée d’Imazighen, l’autorisation d’organiser un culte funeraire pour son pére Namart, un privilège exceptionnel.
A la mort de Psossenes II en 950 av. JC qui avait succédé à Siamon, Sheshonk s’attribua la dignité royale et fonda la XXIIème Dynastie qu’il ligitima en mariant son fils, Osorkon, la fille de Psoussens II, la princesse Makare et installa un autre de ses fils comme grand pretre d’Amon Thbes.
Sheshonk établit sa capital Boubastis, installa les hommes de sa tribue dans des terres du delta du Nil et leur constitua des fiefs.
      Une nouvelle féodalité prit pied en Egypte. L’an zéro amazigh se refère donc à cette date historique de 950 av. JC ou Sheshonk fut monté sur le trône et fonda la XXIIème Dynastie.
Le jour de l’an le 12 yennayer : tibura u seggwas
      Les Imazighen fêtent aussi la nouvelle année le 12 janvier, ce qui correspond donc au 1er jour du mois Yennayer, aussi le premier jour du calendrier julien. Notre calendrier actuel est le calendrier grégorien.

 Le calendrier agraire amazigh & l'horoscope amazigh


L'année agraire amazighe, comme toutes celles de l'aire méditerranéenne est découpée
en quatre saisons : tagrest (hiver), tafsut (printemps), iwilen (hiver), amewan
(automne). Chacune des quatre saisons comporte quatre signes ou symboles «
astrologiques », dont un symbole « majeur » (celui de la saison), qui détermine les trois
autres signes de son groupe ; ainsi, chaque individu a un symbole fort, celui de la saison
où il est né, et un signe personnel, qui correspond au mois de sa naissance.
La succession des signes astrologiques (quoique ce qualificatif est inapproprié,
l'horoscope amazighe ne se référant pas aux astres) se répartit selon le tableau suivant :

1/ Tagrest (hiver) : c'est l'époque de l'endormissement, mais aussi du renouvellement
; on prépare l'année à venir, on prend les dispositions nécessaires pour le reste de
l'année : labours, semailles, coupe de cheveux… C'est une période axée sur le travail, le
tissage, d'où son symbole fort : le peigne à tisser.

2/ Tafsut (printemps) : période de la renaissance et du renouveau ; fécondité de la
terre et fortification du bétail ; exposition à titre préventif et curatif à la pluie qui tombe à
cette période ; en cas de sécheresse cérémonie dédiée à Anzar, divinité de la pluie.
Symbole majeur.

3/ Iwilen (Eté) : Période des moissons et des récoltes de fruits, du miel ; séchage des
poteries ; c'est la saison de l'exubérance et de la lumière ; fête du solstice d'été
(Laânsra), feux de joie ; fête de l'Awussu (mois d'août), rites d'aspersion, d'ablutions et
de baignades (voeux, prévention et guérisons…)
Symbole majeur : le Marteau.

4/ Amewan (Automne) : Saison des labours et de la préparation de la terre, récoltes
des olives et vie axée sur la famille, la maison. Fête de l'Amenzu n- Tgherza, (les
semailles)
Symbole majeur : la Maison (ou la Croix).

-Lecture conseillée : Malika Hachid, Les Premiers Berbères, Entre Méditerranée, Tassili et Nil



ci joint copie du calendrier berbere agricole
     periode   designation  duree        observation


29.09   au   08.10
09.10   au   18.10
19.10   au   28. 10
29.10   au   08.10
09.11   au   18.11
19.11   au   28.11
28.11   au   08.12

09.12   au   19.12
14.12   au   24.12
25.12   au   13.01
14.01   au   03.02
04.02   au   10.02
11.02   au   17.02
18.02   au   21.02
22.02   au   28.02
19.02   au   06.03
07.03.  au   13.03
14.03   au   20.03

21 03   au   23.03
24.03   au   02. 04
03.04   au   05.04
06.04   au   12.04
13.04   au   19.04
20.04   au   22.04
23.04   au   02.05
03.05   au   09.05
10.05   au   16.05
17.05   au   23.05
24.05   au   30.05
31.05   au   06.06
07.06   au   13.06
14.06   au   16.06
17.06   au   14.08
14.08   au   14.08
15.08   au   29.09



Adref 30
Adref 40
Adref 50
Adref 60
 adref 70
adref 80
adref 90

isemmaḍan
buǧembar
liali  n buǧembar
yennayer
imirɣan
furar
amarḍil
leqwareḥ
swalah
aheggam n waklan
aheggam iharriyen

lefwateḥ
taacret  n meghres
imjahene
taftirt  n meghres
taftirt  n baryel
ikhlouanene
taacret  n bereyel
nissan  n bereyel
nissan  n maggu
izegzawen
iwraghene
imiaien
iquranen
uhdimen
anevdhou
ghwect
lakhrif


10 jours
10 jours
10 jours
10 jours
10 jours
10 jours
10 jours

05 jours
10 jours
20 jours
21 jours
07 jours
07 jours
03 jours
07 jours
07 jours
07 jours
07 jours

03 jours
10 jours
03 jours
07 jours
07 jours
03 jours
10 jours
07 jours
07 jours
07 jours
07 jours
07 jours
07 jours
03 jours
56 jours
01 jours
43 jours



1 er jour de laḥlal





Le  29 : 1 er jour d'hiver
( TAGREST)

Le 14/ 12 : 1 er jour de Buǧambar
Le 18/12 Adewwer n yiṭij
Le 03/02  lazla n yennayer
Tebrari
Le 18 ; amardil
Taille de la vigne (anegzum bwadil)
Le 1/03 : le printemps, amenzu tefst
Du 01/03 au 03/03 ; Oulbithen
Greffe d'arbre fruitier




Greffe d'olive





Plans de figue de barbarie
Du 14/05  Au 16/05 ; Debagh
Le 29/05 Amenzu n wezghal








Adref 90 ; valable pour defricher la terre et labour de figuier
03 fevrier ; lazia gnnayer, aqurrec bwarac, maras
Uhdimen ; atebdu tmegra
Arwa ; iheddu lewahi - 8 juillet
14 juillet ; assemensey

mercredi 21 novembre 2012

Le poème d'Arthur Rimbaud en hommage au Roi berbère Jugurtha


Dans ce poème, Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud (1854-1891) rend un hommage au légendaire roi amazigh, Jugurtha (160-105 av. J.-C.).rimbaud.jpgA l’âge de 15 ans, le petit Arthur participa à un concours général de vers latins opposant plusieurs académies du nord, le 02 juillet 1869, à Charleville-Mézières, sa ville natale. Comme par hasard, le sujet proposé était « Jugurtha », une aubaine pour le collégien Arthur po
ur exprimer tout l’amour qu’il vouait à cette grande figure de l'histoire berbère. Tandis que les autres compétiteurs se mirent à jeter sur papier ce qu’ils connaissaient du sujet, Rimbaud affamé n’écrivit rien. Il demande des tartines au concierge et, une fois rassasié, il saisit son porte-plume et commença à composer ses 75 vers élogieux sur le roi Jugurtha et ce, sans consulter son ‘’Gradus ad parnassum’’ ! A midi, il rendit sa copie et il obtint le prix !
Le traducteur de ces vers, Marc Ascione, écrit dans «Le Magazine Littéraire » n°289 de juin 1991 : « Rimbaud parle en latin d’une actualité politique brûlante, celle de la colonisation d’Algérie (à laquelle avait pris part un certain capitaine Rimbaud), profitant de cette première tribune, qui lui est offerte pour faire l’éloge de la révolte. »

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha...

Du second Jugurtha de ces peuples ardents,
Les premiers jours fuyaient à peine à l’Occident,
Quand devant ses parents, fantôme terrifiant,
L’ombre de Jugurtha, penchée sur leur enfant, Jugurtha.jpg
Se mit à raconter sa vie et son malheur :
‘’O patrie ! O la terre où brilla ma valeur !’’
Et la voix se perdait dans les soupirs du vent.

‘’Rome, cet antre impur, ramassis de brigands,
Échappée dès l’abord de ses murs qu’elle bouscule,
Rome la scélérate, entre ses tentacules
Etouffait ses voisins et, à la fin, sur tout
Etendait son empire ! Bien souvent, sous le joug
On pliait. Quelquefois, les peuples révoltés
Rivalisaient d’ardeur et, pour la liberté,
Versaient leur sang. En vain ! Rome, que rien n’arrête,
Savait exterminer ceux qui lui tenaient tête !....’’

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha...

‘’De cette Rome, enfant, j’avais cru l’âme pure.
Quand je pus discerner un peu mieux sa figure,
A son flanc souverain, je vie la plaie profonde !...
La soif sacrée de l’or coulait, venin immonde,
Répandu dans son sang, dans son corps tout couvert
D’armes ! Et une putain régnait sur l’Univers !
A cette reine, moi, j’ai déclaré la guerre,
J’ai défié les Romains sous qui tremblait la terre !....’’

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha...

‘’Lorsque dans les conseils du roi de Numidie,
Rome s’insinua, et, par ses perfidies,
Allait nous enchaîner, j’aperçus le danger
Et décidai de faire échouer ses projets,
Sachant bien qu’elle plaie torturait ses entrailles !
O peuple de héros ! O gloire des batailles !
Rome, reine du monde et qui semait la mort,
Se traînait à mes pieds, se vautrait, ivre d’or !
Ah, oui ! Nous avons ri de Rome la Goulue !
D’un certain Jugurtha on parlait tant et plus,
Auquel nul, en effet, n’aurait pu résister !’’

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha...

‘’Mandé par les Romains, jusque dans leur Cité,
Moi, Numide, j’entrai ! Bravant son front royal,
J’envoyai une gifle à ses troupes vénales !...
Ce peuple enfin reprit ses armes délaissées :
Je levai mon épée. Sans l’espoir insensé
De triompher. Mais Rome était mise à l’épreuve !
Aux légions j’opposai mes rochers et mes fleuves.
Les Romains en Libye se battent dans les sables.
Ils doivent prendre ailleurs des forts presqu’imprenables :
De leur sang, hébétés, ils voient rougir nos champs,
Vingt fois, sans concevoir pareil acharnement !’’

Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha...

‘’Qui sait si je n’aurai remporté la victoire ?
Mais ce fourbe Bocchus... Et voilà mon histoire.
J’ai quitté sans regrets ma cour et mon royaume :
Le souffle du rebelle était au front de Rome !
Mais la France aujourd’hui règne su l’Algérie !...
A son destin funeste arrachant la patrie.
Venge-nous, mon enfant ! Aux urnes, foule esclave !...
Que revive en vos cœur ardent des braves !...
Chassez l’envahisseur ! Par l’épée de vos pères,
Par mon nom, de son sang abreuvez notre terre !...
O que de l’Algérie surgissent cent lions,
Déchirant sous leurs crocs vengeurs les bataillons !
Que le ciel t’aide, enfant ! Et grandis vite en âge !
Trop longtemps le Français a souillé nos rivages !...’’
Et l’enfant en riant jouait avec un glaive !...

II
Napoléon ! Hélas ! On a brisé le rêve
Du second Jugurtha qui languit dans les chaînes...
Alors, dans l’ombre, on, voit comme une forme humaine,
Dont la bouche apaisée laisse tomber ces mots :

‘’Ne pleure plus, mon fils ! Cède au Dieu nouveau !
Voici des jours meilleurs ! Pardonné par la France,
Acceptant à la fin sa généreuse alliance,
Tu verras ’Algérie prospérer sous sa loi...
Grand d’une terre immense, prêtre de notre droit,
Conserve, avec la foi, le souvenir chéri
Du nom de Jugurtha !...N’oublie jamais son sort :

III
Car je suis le génie des rives d’Algérie !...’’ 

mercredi 31 octobre 2012

Commandant Aghri Mohamed dit Moh Saïd Ouzeffoun

Moh Saïd Ouzeffoune, de son vrai nom Mohamed Aghri. Ce dernier est né en 1930 au village Ibdache dans la même région. Il fera ses études primaires à l'école d'Azeffoun jusqu'à l'obtention de son certificat d'études. Il se dirige aussitôt vers la vie active pour soulager son père. Il intègre le MTLD où son nationalisme déjà hérité de son père grandit. Il participe à l'organisation de plusieurs attaques ainsi qu'à l'incendie de l'usine de liège d'Azazga la veille du 1er Novembre 1954 où il rejoint définitivement le maquis. Vers 1955, il quitte la Grande-Kabylie pour se rendre à Béjaïa où il organise les 2 zones que compte la région. Chef des zones 1 et 2, il devient par ailleurs chef par intérim de la zone 4. Le 30 mars 1961, après un accrochage de plusieurs jours, il tombe au champ d'honneur avec ses sept compagnons à Ighil Boukiassa dans la région d'Ifigha, près d'Azazga. Moh Saïd Ouzeffoun est tombé au champ d'honneur en compagnie de Hadadj Djaâfar, Meziani Mohand Ameziane, Maouche Tahar, Mahfouf Larbi, Souchene Mohand Arezki, Alik Rabah et Melab El Hachemi.
A Tizi-Ouzou, tout le monde connait le nom du chahid Moh Saïd Ouzeffoun d'autant que l'une des rues les plus importantes de la ville porte son nom.

Queques photos rares de Moudjahidines de Timizart





«L’Histoire appartient aux générations futures»


Entretien avec M’hend Ameur, commandant de l’ALN


Mhend Ameur, dit M’hend Yakouren, commandant de l’ALN, livre dans cet entretien ses souvenirs de la guerre de libération. Lui qui a participé à plusieurs actions armées contre l’armée coloniale, relate ces faits historiques. Il estime qu’il est de son devoir de léguer ces événements aux générations futures.

La Dépêche de Kabylie : Racontez-nous comment vous avez préparé le 1er Novembre 1954 ?
M’hend Ameur : Il faut d’abord souligner que l’Histoire est vitale dans la vie d’un pays. Je vais vous raconter, grosso modo, comment a été préparé le 1er novembre et le déclenchement de la révolution. Les préparatifs directs ont pris pas mois de deux mois d’activités. C’est dire que le déclenchement de la révolution n’a pas été préparé dans la célérité, mais les événements qui devaient se tenir durant la nuit du 31 octobre au 1 Novembre 1954, ont été préparés, minutieusement, deux mois durant. Nos responsables, à cette époque, ont multiplié les rencontres et les réunions. Dans notre région, celle d’Azazga, c’était le chahid Ali Mellah qui était le 1er responsable. Je ne sais pas si Ali Mellah a reçu des instructions dans ce sens ou non, mais, on avait une activité chaque semaine. Lors des différentes réunions, Ali Mellah mettait l’accent surtout sur l’éducation et la préparation des militants. D’autres réunions ont eu lieu, effectivement, dans d’autres villages de la région, et elles rentrent toutes dans le cadre de la préparation du déclenchement de la révolution, comme à Achouba, Handou ...
La dernière rencontre, je me souviens, a eu lieu au village Handou. Elle a regroupé plus d’une soixantaine de militants nationalistes. Je me souviens aussi qu’Ali Mellah nous a demandé de venir, la veille du 1er novembre, munis de nos affaires, car, il faisait froid et il nous a dit que peut-être on aura des activités ailleurs, donc, il fallait se préparer. Comme il a été convenu lors de la dernière réunion, le jour J, tous les militants venus de toute la région, se sont rencontrés au lieu décidé auparavant. Ce jour-là, je me souviens encore, ce ne sont pas tous les militants qui ont été conviés à ce rendez-vous, mais juste une partie. Il a choisi deux à trois militants de chaque village de la région. A notre arrivée au lieu du rendez-vous, il n’y avait pas eu de réunion. Lors du rassemblement, nous étions, je pense, 45 éléments. Ils ont formé 3 groupes. A mes cotés, il y’avait Mohand Saïd d’Azeffoun, qui fut un ancien militant, il est tombé au champ d’honneur avec le grade de commandant, que Dieu ait son âme. Ali Mellah lui a demandé d’avancer vers lui, donc, devant les autres éléments du groupe, pour lui dire que dorénavant, tu es le chef de ce groupe.
Dès cet instant, Ali Mellah décida alors de nous expliquer ce que nous allions faire.

Donc, c’est à ce moment que vous avez su ce que vous alliez faire ?
Effectivement, c’est à ce moment que les directives de notre responsable sont venues. Il a déclaré qu’à partir de ce jour là, nous allions faire des actions qui n’ont jamais eu lieu dans notre pays. On ne savait pas que c’était le déclenchement de la révolution même si nous avions des doutes. Le groupe de Mohand Saïd a été instruit de mettre le feu au dépôt de liège de Azazga, un autre groupe allait harceler l’administrateur et le groupement de gendarmerie coloniale. Le dernier groupe a été divisé en deux sections, l’une attaquera les poteaux de fils de téléphone et l’autre s’occupera de la sécurisation de la route menant vers l’Est, plus exactement vers Bgayet. Je faisais partie du groupe qui s’est attaqué à la gendarmerie. Avant notre départ, Ali Mellah a insisté sur le fait qu’aucune action ne sera entreprise avant minuit tapante, soit, le 1er Novembre 1954. On avait seulement deux armes à feu avec nous.
Après l’attaque de la gendarmerie et de l’administration, on nous a demandé de nous replier vers Timizart de Sidi Mansour. Chaque groupe devait se rendre tout seul, sans être accompagné par les autres.
A notre arrivée au village de Timizart, ils nous ont conduits à la maison de Chaïeb Ahmed, dit Bouzal. Chez lui, il y avait Ali Mellah qui nous attendait. Je me souviens qu’il nous a dit qu’il est 3h 45. Après les remerciements, il nous a dit que la révolution ne fait que commencer, mais, même si nous ne sommes que 45 personnes, nous ne devons pas tous prendre le maquis, nous devons, mobiliser les citoyens. Ceux qui n’étaient pas recherchés devaient retourner chez eux pour ce travail. Je reprends ce travail jusqu’en 1955.
En 1947, 48 la mobilisation autour du PPA a fait que l’armée coloniale a arrêté beaucoup de militants. Sur ce point, Ali Mellah nous a demandé de reprendre contact avec ces vieux militants et leur donner des responsabilités au sein de l’organisation. On a pris effectivement contact avec eux sans aucune difficulté et je pense que la révolution s’est organisée ainsi en Kabylie. Par ailleurs, des réunions ont eu lieu pour prendre contact avec les groupes de militaires dans le but de ne pas provoquer les accrochages, afin d’avoir le temps de mobiliser les citoyens.

Justement, comment les autres citoyens ont-ils fait face à cette nouvelle donne ?
Pour tout dire, là où j’ai activé, du moins dans ma région, on n’a pas eu de difficultés pour rallier les citoyens à notre cause commune. La présence d’anciens militants nationalistes dans nos villages a fait que notre mission de les convaincre s’est avérée aisée. Ce sont les anciens qui préparaient le terrain pour les nouveaux militants. Ce travail d’équipe a vraiment facilité le contact, le soutien et l’adhésion des citoyens à la cause nationale. En 1955, 90% des citoyens ont soutenu la lutte pour l’indépendance, qui avec ses moyens logistiques, qui avec son argent, qui avec des informations, sans parler de ceux et de celles qui ont rejoint les rangs des combattants.

Quelle était la position des Messalistes vis-à-vis de votre action ?
Ce ne sont pas tous les militants qui étaient au courant de ces dissensions et désaccords entre les militants, sauf ceux qui étaient dans l’action armée. Au bout d’un moment, on a eu des circulaires qui nous expliquaient le réel problème. Cela nous a permis aussi de bien expliquer aux citoyens d’une manière sûre la justesse du combat libérateur. Ces circulaires indiquaient que Messali ne voulait pas d’actions armées pour l’indépendance…
Au bout d’un moment, l’option messaliste a été délaissée par la majeure partie de ses anciens militants au profit de la ligne du FLN. Ali Mellah, comme il était bien instruit, insistait toujours sur le dialogue avant toute autre chose avec ces militants du MNA.
On tenait des réunions chaque semaine afin de faire table rase de tous les problèmes. Il nous demandait de privilégier le dialogue afin d’éviter l’affrontement. Il pensait aussi à la rancune. Il y avait des dépassements à l’encontre de certains de ces militants du MNA, mais ils étaient des cas vraiment isolés. Notre responsable nous disait qu’il fallait voir avec ses amis, sa famille et autres personnes proches pour le convaincre, afin d’éviter un embrasement. Il pensait à la rancune qui survivra à ces événements et qui sera léguée à plusieurs générations.
Vers juin-juillet 1955, la plupart des villages de la région étaient acquis au combat libérateur.
Un peu moins d’une année après le déclenchement de la révolution, on travaillait dans les refuges pour accueillir les moudjahidine. La tâche était ardue, car, seuls les militants étaient en contact avec les moudjahidine, ce qui fait que les procédures de sécurité étaient telles qu’on ne pouvait pas être très efficaces sur le plan d’action. En 1955, une décision a été prise et concernait essentiellement une tournée des moudjahidine à travers tous les villages afin de prendre attache avec la population.

Concernant votre engagement, vous avez dit que vous aviez pris le maquis en 1954, une année plus tard, vous revenez, mais depuis qu’est ce que vous avez fait ?
Comme j’étais commerçant à Yakouren, un harki m’avait dénoncé à la brigade de gendarmerie de la région. Donc, depuis j’étais recherché par les forces coloniales.
Les gendarmes devaient encercler mon restaurant, qui été mitoyen d’une boucherie que je gérais. Mais une épouse de l’un de ces gendarmes m’avait informée de mon arrestation.
Cette femme, je me souviens, était enceinte et elle avait envie de manger de la cervelle de mouton. Un jour, elle rentre dans ma boucherie pour achat et elle m’avait demandée de la lui procurer. Je lui avais donné rendez-vous pour le lendemain. Elle revint, comme prévu, le jour-J et je lui avais remis la commission. Depuis, à chaque fois, elle revenait pour s’approvisionner en viande chez moi, un jour, elle m’avait demandé mon nom et elle m’avait dit que son mari, qui était gendarme, l’a informée qu’ils allaient m’arrêter.
Je lui avais demandé la raison de mon arrestation, elle m’avait répondu que c’est à cause de mon travail avec les fellaghas. Aussitôt, je me rends chez un ami boulanger qui était en face de mes boutiques et je suivais la scène de l’encerclement des gendarmes de ce lieu, sans pouvoir, tout de même m’arrêter. Depuis, j’ai rejoint le groupe qui activait dans la région. Il y avait Si Moh Arezki, originaire de Timizart de Sidi Mansour, comme chef de groupe. Un des moussabline avait informé le chef du groupe de mon arrivée et juste après mon arrivée, il m’a donné le grade de caporal.

Vous vous êtes rendu, plus tard, en Tunisie avec un groupe de moudjahidine ?
Depuis ma reprise des activités dans le maquis, j’ai activé dans la région de Yakouren, comme chef de groupe, ensuite, j’étais muté vers le secteur d’Azeffoun jusqu’en 1957, avant de me rendre, effectivement en Tunisie pour une mission.

Donc, depuis 1955, vous avez participé à toutes les opérations dans la région ?
Oui, effectivement, j’avais participé à toutes les opérations organisées dans la région. Et surtout les embuscades, car, je les dirigeais parce que je suis de la région et je la connais assez bien. J’avais même participé à des embuscades dans la région d’Azeffoun après mon affectation dans cette région, vers août 1957. Lors de mon arrivée au village Azrou de Yakouren, comme souligné dans la convocation que j’avais reçue, j’avais trouvé une section. J’avais rencontré un certain Moh Lounes qui était sergent-chef originaire d’Azeffoun. Il était ancien militaire à l’armée française, que Dieu ait son âme. Il m’avait dit que je tombais à point nommé, car, il préparait une embuscade et il attendait mes conseils sur le lieu et la manière de la réaliser. J’avais dirigé l’opération comme point essentiel, avoir un moudjahid pour chaque camion du convoi. Un de nos éléments, originaire de Bouzeguène, il s’appelait Lahlou, est venu en rampant vers moi, pour me dire que les responsables m’ont désigné pour partir en Tunisie. Je l’avais engueulé car, je n’avais pas envie d’entendre cette information au moment d’une embuscade.
L’embuscade fut une réussite et on s’est replié vers le village Azrou où j’étais convoqué. A mon arrivée, j’avais retrouvé tous les responsables, y compris le colonel Amirouche, qui était commandant à l’époque, Si Abdellah, Briruche…

C’était la première fois que vous rencontriez Amirouche et son équipe ?
Non, j’avais, auparavant rencontré Amirouche au mois d’août 1956, quelques jours avant le Congrès de la Soummam.
Si Abdellah, était originaire de Ibeskriène, donc, responsable de toute la région, que j’ai connu depuis un moment. Il m’ont reçu, avec Mohand Oulhadj avec le grade de capitaine, que j’ai connu bien avant le déclenchement et c’était lui qui m’a surnommé M’hend de Yakouren.
J’ai demandé auprès d’eux les raisons de ma convocation, ils m’ont dit que «c’est cela la guerre !». Ils m’ont informé que j’étais désigné pour aller en Tunisie, mais ils ont refusé, car, ils voulaient me désigner dans la compagnie de choc, que dirigeait le commandant Moh Ouali. J’ai refusé le fait de ne pas partir en Tunisie, même si je savais qu’ils avaient besoin de moi dans la compagnie. Je les ai suppliés pour qu’ils me laissent partir en Tunisie. Après un moment, ils ont accepté ma proposition.
J’ai pris le chemin vers la Tunisie, sans arme, car, la mission était de ramener les armes, malgré les difficultés rencontrées durant tout le périple. Chaque groupe avait seulement trois armes pour assurer sa défense. Nous nous sommes donné rendez-vous à Illoula, à Sidi Wadris. Il y avait Amirouche et Briruche avec les grades de commandant. Ils ont réuni tous les groupes qui devaient prendre part au voyage, et le 14 septembre 1957, ils ont désigné la compagnie, avec son chef qui allait en Tunisie. J’étais nommé sergent-chef et chef de section.
Durant le voyage on avait eu des problèmes avec les agents de liaison surtout en wilaya II.
Avec nous, il y’avait un groupe de 45 étudiants qui devaient faire le voyage avec nous vers la Tunisie afin de suivre leurs études. Il fallait bien souligner la présence de ces étudiants avec nous. Aujourd’hui, la majeure partie de ces étudiants sont cadres et responsables. On a fait le voyage dans des conditions très difficiles. On a même perdu des hommes, notamment, au moment de franchir la ligne Morris juste à la frontière. C’était une souffrance terrible à supporter, mais on avait tenu le coup. D’autres avaient péri à cause de la faim et du froid, puisque c’était l’hiver. Le voyage a pris environ 78 jours. Je me souviens qu’un jeune étudiant, Abbas Mehiedine, aujourd’hui avocat, était vêtu d’une tenue légère. En arrivant à Souk Ahras, il n’avait plus de chaussures, usées durant le long voyage, en plus, il n’avait que 14 ans. Il a été blessé aux pieds et il ne pouvait marcher. J’ai été voir le chef du refuge où on avait été accueillis, cet homme avait un hangar de blé, pour lui demander de m’aider à secourir le jeune Abbas et de lui trouver des chaussures. Je dois avouer, que ceux qui nous ont accueillis avaient refusé de nous donner à manger, car, d’abord, ils ne savaient pas que nous étions des moudjahidine, ensuite, ils n’avaient pas grand-chose à nous offrir. Mais le responsable du hangar nous avait donné la permission de manger du blé que nous avions bouilli dans un récipient de fortune. En fouillant dans le hangar, j’ai trouvé un bout d’une peau de bœuf. J’avais demandé au responsable du hangar si je pouvais l’utiliser pour fabriquer, à la manière traditionnelle des chaussures pour le jeune étudiant. Il a accepté et j’ai pu fabriquer, effectivement, une paire de chaussures pour le jeune Abbas et pour trois autres étudiants.
Ces jeunes avaient porté ces paires de chaussures jusqu’à Tunis.

Avez-vous rencontré les responsables du FLN installés à Tunis ?
D’abord je dois signaler qu’en arrivant en Tunisie, j’étais dans l’obligation de revenir en arrière pour cause d’un jeune étudiant égaré. Il s’appelait Cheikh Aberkane. De son vrai nom Mohand Saïd, originaire de Bouzeguène. Un sergent-chef qu’on appelait «Couscous», m’avait dit qu’il est mort ou qu’il n’avait pas franchi la ligne Morris. J’avais la certitude qu’il était toujours vivant et dès lors, j’avais décidé de rebrousser chemin pour le chercher. Le chef de la compagnie, Hocine, de Larbaâ Nath Iraten, n’avait pas intervenu dans mes débats avec «Couscous» qui avait un point de vue complètement différent du mien, au sujet du jeune étudiant. Le chef de la compagnie n’avait pas l’expérience nécessaire pour mener à bien une telle mission, mais il était d’un courage exemplaire.
J’étais sûr que le jeune étudiant était vivant, car, c’était moi qui ai coupé le fil électrique de la ligne Morris pour leur permettre de passer et je me souviens que le jeune étudiant était passé devant moi. J’ai même tenté de l’aider car il avait peur que les fils l’électrocutent. C’était une certitude chez moi, donc, je devais revenir en arrière, à mes risques et périls pour le retrouver. J’ai pris le chemin du retour durant trois jours, en suivant l’itinéraire de l’aller pour tenter de le retrouver. J’étais accompagné de deux autres djounouds.
Après trois jours de recherche, on avait retrouvé la trace de notre étudiant, dans un endroit où des gens nous ont informés qu’il a pris un autre chemin, autre que celui que nous avions emprunté. On l’avait effectivement retrouvé, hébergé chez deux vieux qui avaient pris soin de lui. On avait passé la nuit avec eux et le lendemain, on avait pris refuge aux côtés de la route nationale, dans un endroit qu’ils appelaient Gambetta. On avait marché toute la nuit et au bout d’un moment on avait décidé d’observer une halte pour se reposer. C’était la nuit, car, des convois militaires français passaient, vers l’aube, chaque minute. A quelques encablures de cet endroit, on avait retrouvé des femmes qui paraissaient inquiètes par notre présence. On avait essayé de leur expliquer jusqu’à la venue d’un jeune et de son père qui avait pris soin de nous, auparavant. J’avais essayé de convaincre cet homme de nous accompagner, mais en vain. De loin, on apercevait un village mais, cet homme nous avait informés qu’ils sont tous harkis qui avaient pris les armes contre le FLN. Ce village dépendait de Souk Ahras.
J’ai insisté auprès de cet homme pour le convaincre de venir nous accompagner mais sans résultats jusqu’a ce que son fils accepte à condition de le laisser partir avant l’entrée du village. Ce qui fut fait, le jeune nous avait quittés après avoir donné un aperçu du village et surtout les postes de gardes de l’armée coloniale. Il nous avait aussi informés que des maisons se situaient à la sortie du village. Nous étions donc à quatre à mettre les pieds dans ce village qui nous est complètement étranger et surtout hostile. J’avais décidé de rentrer seul au village et tenter de forcer un des villageois de venir nous accompagner. Au milieu du village, en pleine nuit je distingue un rond-point, soudainement une porte s’ouvre derrière moi. La peur m’avait paralysée. J’apercevais une vieille qui sortait. En l’abordant en arabe, elle m’avait dit qu’un groupe veillait juste dans une maison toute proche. Je l’avais accompagnée sans savoir où je me dirigeais. Je ne savais quoi faire. Au bout d’un moment j’entendis des éclats de rire, et on retrouve une porte ouverte. J’avais perdu mon sang froid, jusqu’au moment où j’aperçus des armes accrochées au mur. C’était là où il m’était venu à l’esprit ce que l’homme de l’autre village m’avait dit concernant ces villageois.
Une dizaine d’hommes armés devant moi. J’avais serré mon arme contre moi, devant ces hommes complètement ébahis de ma présence. Un homme qui était assis loin de nous m’avait demandé d’où je venais ? J’avais répliqué en lui disant que je venais de l’ouest. Il m’avait demandé les motifs de ma venue. Je lui répondis que je cherchais un contact, car je ne connaissais pas la région. Il voulut s’emparer de son arme avant que je leur dise de rester à leur place, car autrement, je serais dans l’obligation de tirer sur eux. Ils m’avaient indiqué qu’ils sont des leurs (les harkis).
Ils étaient au courant que j’étais moudjahid et ils m’avaient dit qu’ils ne pouvaient pas me donner le moindre contact. «Malgré que nous étions moussabline avec les moudjahidine, mais des événements ont fait que nous avons changé de camp», m’ont-ils dit. Je leur avais dit que malgré cela, ils sont toujours nationalistes, pour les caresser dans le sens du poil.
Ils avaient refusé de m’aider mais à un moment, un de ces éléments a appelé un certain Boularas pour venir nous accompagner. Il avait pris sa mitraillette. Mais les trois éléments qui étaient avec moi avaient pris la fuite à cause du retard, ils pensaient que je m’étais rendu. Notre accompagnateur pensait que nous étions nombreux. Nous l’avions suivi jusqu’à la route nationale où se trouvait un autre refuge. Pour rire, un de mes compagnons n’a pas cessé de pointer son arme vers moi, il pensait que je m’étais rendu. Au bout d’un moment, je retourne vers lui et je lui dis, si tu continues à pointer ton arme sur moi, je te mets une balle dans la tête. Une chose qu’il répétait même après la guerre.
Il nous a montré le refuge, je frappe à la porte, un homme ouvre et dés qu’il a vu notre accompagnateur, il le traita de traître ! «Tu es venu avec des militaires», lui reprochait-il. J’intervenais entre eux pour lui expliquer que nous, nous étions des moudjahidine. Notre accompagnateur ne voulait pas rester malgré notre insistance. A la fin, on a conclu un marché, selon lequel, ce harki allait nous protéger contre les Français et nous ferions de même pour lui, contre les moudjahidine.
A notre arrivée à destination, je lui signe un laissez-passer pour qu’il circule en toute quiétude, s’il venait à rencontrer des moudjahidine.
Grâce à ce moudjahid, deux jours après nous avions pu rejoindre la Tunisie au bout de seulement deux jours de route sur dos de mulets.
En Tunisie, nous étions à Tidjerouine. Le harki qui nous accompagnait, après son retour chez lui avait montré le laissez-passer à ses amis, qui l’ont rapidement utilisé pour rejoindre la Tunisie et rallier le Front. Je l’ai revu en 1964 lors d’un stage que j’avais effectué à Cherchell. Durant la révolution, ils sont devenus de grands responsables et d’héroïques combattants.

Comment a été le chemin du retour de Tunisie ?
D’abord à notre arrivée, les étudiants avaient été transférés vers des écoles en Iraq, Libye, Syrie…, et nous les militaires, vers Ghardimaou durant deux mois. Après l’arrivée des armes, nous avions pris le chemin du retour. Au début, ils nous ont donné même l’arme lourde, sur dos de mulets. Lors d’un accrochage, un autre groupe avait perdu beaucoup d’hommes. Le chef de ce groupe nous a informés qu’il est impossible de traverser avec ces armes. 15 jours plus tard, nous reprenions le chemin mais quelle fut notre surprise en découvrant que la ligne Morris était renforcée. Deux compagnies de la wilaya III étaient à cet endroit. Même la sécurité de la ligne était renforcée. En trois compagnies, nous décidâmes de franchir la ligne et rentrer en Algérie. Nous avions perdus 50% de nos effectifs des trois compagnies. Ce qui représente 200 hommes. Parmi ces 200, il y avaient ceux qui n’ont pas pu franchir la ligne.
La forte présence des chars blindés sur la ligne a fait que cet endroit est devenu un tas de tranchées qui nous stoppaient à chaque tentative d’avancée.
Sur le lit de Oued Seybous, les crues emportaient tout sur leur passage. Nous avions des cordes avec nous pour nous permettre de passer en groupe. Je me souviens qu’un militaire des At Jennad était le dernier qui s’est accroché à la corde, essoufflé, il lâcha la corde en emportant 4 autres avec lui.
Après une nuit d’attente, l’armée coloniale encerclait les lieux avec des armes lourdes et même l’aviation. Vers 9 h, ils mirent la main sur notre chef de section, lequel nous demandait de nous rendre. A midi tapant, l’accrochage commence. Vers 14h, ils ont envoyé les avions. Une journée après, ils ont tué tous ceux qui étaient là-bas. Nous avions perdus presque 150 hommes lors de cet accrochage.

Vers quelle date étiez-vous rentrés en Kabylie ?
Je pense que c’était le mois de mars 1958. En wilaya III, au village Ouled Moumen, au nord de Sétif, en petite Kabylie. Nous avions retrouvé Laifa, chef de région qui nous a aidés. Il nous a même donné une escorte après notre départ. Le chef du refuge nous apprend que Amirouche était à Zemoura et qu’il était au courant de notre arrivée.
Amirouche est venu nous voir. Nous étions 23 alors qu’au départ nous étions 125. Amirouche avait les larmes aux yeux, il nous a dit «allez fils de femmes kabyles».

Quel souvenir gardez-vous du colonel Amirouche ?
J’ai connu Amirouche en 1956, lorsque j’étais chef du groupe de Yakouren. Nos frontières étaient à Assif El Hammam. Nous avions eu des problèmes avec les militants de cette région qui avaient assassiné quelques uns de nos militants. Si Abdellah et Briruche nous ont dit qu’il ne faut pas les laisser venir dans notre région. Au bout d’un moment, les responsables s’emparèrent de cette affaire. Ils convoquèrent une réunion pour résoudre ce problème à Assif El Hammam.
Ce jour-là, Amirouche était venu avec le commandant Kaci, même si à cette époque il n’y avait pas de grades. Au village des At Yahia Youcef, une réunion fut programmée. Amirouche et les autres arrivèrent. C’était vers le mois d’août 1956.
Si Abdellah m’avait demandé de donner ma version en expliquant le problème. Amirouche avait demandé à Si Abdellah de présider la réunion. Ils ont mis fin au problème en mettant des gardes fous pour les deux régions. Amirouche avait quitté la réunion bien avant sa fin, car il avait affaire ailleurs.

Une dernière question, êtes-vous convaincu de ce qui s’écrit sur l’Histoire de la guerre ?
Je pense que ce que j’ai écris sur cette période m’a convaincu, mais il n’en demeure pas moins qu’il faut lire et écrire davantage. Je vais donner encore mes témoignages en écrivant d’autres ouvrages qui pourront être exploités par les spécialistes.
A force de lire et d’écrire, des événements reviennent dans ma mémoire et cela me permet de les écrire. Durant la guerre, j’avais mon cahier journal où j’écrivais tout, et cela m’a aidé à écrire sur ce que j’ai vécu et vu.
Pour terminer, je dirais que l’Histoire appartient à la génération d’aujourd’hui et à celles de demain et non pas à nous. Il est de notre devoir de la léguer à ces générations !
Entretien réalisé par Mohamed Mouloudj